Les voix éraillées évoquent des thèmes lancinants, des psalmodies farouches, des accents qui semblent remonter aux Aradas, Bambaras, Congolais, Sénégalais, esclaves déportés au début du XVIIe siècle en Martinique. Ces vénérables maîtres perpétuent en fait le bal de la plantation selon une musique de danse traditionnelle, où persistent des pas des quadrille, mazurka ou valse des colons européens, très ancrée dans le nord-est de la Martinique. D’ailleurs, ils viennent de la septentrionale Sainte-Marie, la plus grande ville sur la côte atlantique où ont été enregistrés, un peu rudement, ces 24 titres mélangeant le patrimoine rural et de nouvelles créations sous la direction de Charly Labinsky, accompagnés d'un livret explicatif de 32 pages.
Maintenant, à côté des musées de la banane et du rhum Saint-James, Sainte-Marie dispose de sa Maison du bèlè (ou bel-air). Le rythme le plus évidemment africain de Martinique, frère du gwoka de Guadeloupe, cousin du maloya réunionnais et du séga mauricien. A côté de Létisia, la composition mâtinée de biguine de Benoît Rastocle, interprète de sept titres sur l'album, les morceaux les plus remuants restent ceux où la voix rouillée de Berthé Grivalliers est délicatement soutenue par la frappe de Marcel Jupiter pour un chant de chronique sociale, de résistance, de divertissement qui moque le colon, le voisin ou le petit chef.
Par Bouziane Daoudi | akhaba.com